Une courte histoire du MET gala

Anna Wintour
Le MET gala, anciennement appelé Costume Institue Gala, est un gala annuel de collecte de fonds au profit du Anna Wintour Costume Center du Metropolitan Museum of Art de New York. Cet événement marque l’inauguration de l’exposition de mode annuelle de l’Institut du costume, le thème de l’exposition correspond alors au thème imposé pour les tenues des participant·e·s. Créé en 1948 par Eleanor Lambert – journaliste de mode –, le MET gala évolue de façon marquante avec l’arrivée de Diana Vreeland – ancienne rédactrice en chef de Vogue – en 1972 en tant que conseillère spéciale. C’est notamment sous elle que les thèmes des tenues sont introduits, ce qui fait de ce gala un événement central dans le calendrier des créateur·rices de mode. Certain·es vont jusqu’à payer des stars pour qu’iels portent leur tenue, le MET gala offre une couverture médiatique immense pour des créateur·ices cherchant à se faire connaître.
Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue en est la présidente depuis plus de 20 ans. Wintour est une icône de la mode, connue pour sa coupe au carré et ses lunettes de soleil en intérieur, elle soutient régulièrement de jeunes noms de la haute couture avant leur consécration.
Le thème du MET gala 2019 était « Camp : Notes on Fashion », le titre faisant directement référence à l’ouvrage de Susan Sontag. L’exposition correspondante aura lieu du 9 mai au 9 septembre 2019. Le commissaire d’exposition, Andrew Bolton, est considéré comme un visionnaire, notamment pour l’introduction du thème de l’an dernier : « Alexander McQueen : Savage Beauty and Heavenly Bodies : Fashion and the Catholic Imagination » qui a fait date dans l’histoire de la mode. En choisissant le thème de l’esthétique camp, Andrew Bolton voulait renouveler le buzz autour du MET gala et le faire entrer de façon pérenne dans les esprits, que ce soit chez les institutions, les stars ou le grand public. Pour lui, le camp est synonyme « d’ironie, d’humour, de parodie, de pastiche, d’artifice, de théâtralité, d’excès, d’extravagance, de nostalgie et d’exagération ». Cette année l’événement a été co-présidé par Lady Gaga, Serena Wiliams, Harry Styles et Alessandro Michele.
Le style camp : de l’extravagance et c’est tout ?
En 1964 l’écrivaine américaine Susan Sontag tente de théoriser le camp dans son essai Notes on Camp. Elle y revient dans une longue série de points sur les origines du camp et ses influences dans la culture et la société. Pour elle, le camp est « l’ennemi du naturel » (p307), le but étant de créer une surenchère sérieuse.
« La marque distinctive du ‘camp’ c’est l’esprit d’extravagance. […] Le ‘Camp’, c’est souvent la marque du démesuré dans l’ambition de l’artiste, et pas simplement dans le style même de l’œuvre » (p317)
Le camp est très lié à la mode et particulièrement la haute couture. On le retrouve régulièrement chez Jeremy Scott et Alessandro Michele. Ce dernier voit dans le camp « une capacité unique de combiner l’art et la pop culture ». Le camp se décline dans des tenues colorées et kitsch qui se caractérisent par leur originalité et l’avant-garde de leur construction. La silhouette, les détails, les matières doivent être avant-gardistes et ne peuvent se cantonner à des schémas classiques. Jack Bubuscio identifie quatre caractéristiques du camp : l’ironie, l’esthétisme, la théâtralité et l’humour. Même si elles sont marquées d’humour, les tenues camp ne doivent pas tomber dans le ridicule. La définition peut paraître large et floue : kitsch mais sérieux, extravagant mais couture, nostalgique mais avant-gardiste.
Le camp est identifié comme une expression esthétique de la sous-culture gay. Une de ses caractéristiques est le goût pour la provocation mais aussi les représentations des genres. Ce sont des pistes importantes pour la haute couture qui se réclame du camp. On peut noter une posture de distanciation de la réalité caractérisée par des formes d’exagération esthétique et stylistique. C’est ce qui était attendu pour le MET gala de cette année. L’exposition explore le camp de ses origines à aujourd’hui, d’ailleurs la première salle s’ouvre sur des éléments dédiés à Versailles où le verbe « se camper » décrivait les manières à adopter pour se faire accepter et remarquer à la cour du roi. Les bases esthétiques sont posées, mais permettent tout de même une innovation constante dans la mode.
Le MET gala : une certaine vision du camp en 2019
Le défilé des personnalités a été marqué par une différence de niveau, d’investissement et de compréhension de l’esthétique camp foncièrement différent. Alessandro Michele, représentant de la maison Gucci, avait évidemment saisi la notion de camp et nous a présenté une tenue rose, constituée de chaussures à talons, d’un pantalon large et d’une chemise aux manches bouffantes et au buste fourni de rangées de tissus plissés et volumineux. Ce monochrome brillant est représentatif d’une compréhension du camp à la française, avec un clin d’œil aux chemises versaillaises. Le chanteur Harry Styles montre aussi une tendance française avec son haut transparent à jabots et manches dentelées. Également monochrome, sa tenue noire reste classique et en retenu par rapport au thème. Serena Williams arrive sur le tapis rose tout de jaune vêtue, sa robe travaille les volumes au niveau des épaules et crée une silhouette fine et fluide. Sa caractéristique reste d’avoir défilé en basket Nike.




La dernière co-présidente est certainement celle qui a fait le plus parler d’elle à son arrivée : Lady Gaga. Son défilé est en lui-même une expression parfaite du camp : théâtralité, humour, audace, référence aux drag queens. Trois reveals pour quatre tenues : sa montée des marches s’est transformée en véritable performance. Elle arrive dans une robe rose immense, coiffée d’un nœud de la même couleur. La silhouette créée par cette première tenue est impressionnante, mais ses assistants ôtent rapidement l’habit et laisse découvrir une robe noire à bustier, avec une création de volume sur le côté gauche. Très dynamique cette tenue change complètement la silhouette de l’artiste qui l’accessoirise avec un parapluie noir. Sous celle-ci, elle présente une seconde robe rose, toujours à bustier, droite, beaucoup plus classique dans la conception. Mais il serait impossible d’en rester là pour Lady Gaga qui enchaîne pour finir en lingerie noire et se couche sur les marches dans une attitude provocante complètement camp. Elle fait suivre un chariot rose et doré où sont posés deux chapeaux roses dans des boîtes transparentes. L’inscription « Haus of Gaga » est présente sur le côté du chariot. La Haus of Gaga est un collectif d’artistes et de créateurs qui assistent Lady Gaga dans le choix de ses tenues, coiffures et maquillages. On peut y voir une signature du groupe pour la prestation de Gaga lors de ce gala.
Deux autres tenues qui devront faire date dans l’histoire de la mode mais aussi dans l’histoire des représentations LGBTI voire queer sont les tenues portées par Lena Waithe et Kerby Jean Raymond. Ce dernier est connu pour être un designer de mode engagé politiquement, notamment sur la question des violences policières et du ‘Black Lives Matter’, il n’est donc pas étonnant de le retrouver avec une tenue hautement politique pour ce gala. Tou·te·s les deux portent un costume similaire dont juste la couleur change (lavande / rose pâle) et des chaussures à talons (jaune / rouge). Les rayures de leurs vêtements n’étaient pas linéaires mais correspondaient aux paroles de la chanson « I’m coming out » de Diana Ross. À l’arrière de la veste de Lena Waithe on retrouve l’inscription « Black drag queens invented camp » et pour Kerby Jean Raymond « Fix your credit. Pool money. Buy back the block » fait vraisemblablement référence à la gentrification raciale des quartiers et des villes états-uniennes. Ce sont les tenues les plus clairement politiques de la soirée.
Cara Delevingne a porté quant à elle une tenue aux couleurs du drapeau arc-en-ciel, affichant clairement l’héritage LGBT de cette esthétique. Les rayures, les volumes et le jeu sur les transparences sont une retranscription du côté avant-gardiste du camp. Sa coiffe aussi est remarquable dans le foisonnement d’éléments hétéroclites et colorés. Certain·es voient dans la tenue de Cardi B une référence aux menstruations, et en cela ce serait une tenue féministe.
On pourra souligner l’inventivité du maquillage adopté par l’acteur Ezra Miller qui crée un effet visuel étonnant avec cette multiplication des yeux et le masque en accessoire, qui pour les amateur·ices d’histoire de l’art pourra nous faire penser à celui utilisé par Gilian Wearing dans sa reprise de l’autoportrait en haltérophile de Claude Cahun. En outre, sa tenue et sa coiffure joue sur les expressions de genre en plaçant sa silhouette dans une androgynie subtile. Une autre référence histoire de l’art peut être vu dans la tenue choisie par Katy Perry, même si la filiation reste peu probable. Elle est entrée au gala en portant un chandelier très imposant qui peut créer un écho avec la performance de Steven Cohen à Johannesburg. Michael Urie a, lui aussi, choisi de jouer sur les genres en adoptant une tenue moins subtile et plus abrupte. Son côté gauche endosse un costume noir à rayures blanches, et son côté droit une robe rose à froufrous. Cet antagonisme crée une diagonale avec son visage qui échange les côtés avec une barbe sur la droite et un maquillage féminin sur la gauche. Nous avons là aussi une filiation avec la sous-culture gay très clair, jouant sur les tenues gay du jour et drag du soir.
Une des tenues les plus marquantes, à mon sens, de ce MET gala 2019 est celle de Hamish Bowles qui est arrivé avec une veste aux couleurs criardes, à motifs caniches, dont les bordures sont faites de franches épaisses et multicolores, l’ampleur de la veste est impressionnante et donnait tout de suite une ampleur particulière à l’ensemble. Et sous cette veste il portrait un costume dans un camaïeu de pourpre dont le pantalon court jouait sur les découpes et les transparences et laissait apparaître son collant violet. Les chaussures à petits talons donnaient une référence discrète au style versaillais. Hamish Bowles se place dans une avant-garde nostalgique du camp, il reste difficile de faire plus camp.
À côté de ses belles réussites nous avons pu assister à plusieurs désastres. Aquaria, Miley Cyrus et Billy Porter étaient très attendu·es et ont finalement présenté des tenues pas assez extravagantes, décevantes. Kim Kardashian a présenté une robe qui lui ressemble, mais qui du coup n’avait absolument rien de camp, quant à son mari… nous pouvons classer Kanye West dans la catégorie des hommes qui n’ont fait aucun effort et qui se sont contentés de venir en costard et/ou k-way (comme Frank Ocean et Richard Madden). Iels n’ont fait aucune démarche de compréhension du style camp.
Dans l’ensemble il y a eu peu de tenues complètement camp, nous pouvons nous demander dans quelle mesure des stars majoritairement hétérosexuelles peuvent s’emparer de l’esthétique camp sans la dénaturer et/ou la rendre mainstream. De même, comment un événement tel que le MET gala, hautement bourgeois, peut rendre hommage de façon authentique et véritable à un style gay et proche des drag queens ? Nous tenterons de répondre, très prochainement, à ces questionnements dans un second article.