Le drag : nouvelle cible de l’extrême droite en France ?

12 juin 2016, États-Unis : attentat au Pulse, club LGBTI d’Orlando. 49 mort·es, une 50n de blessé·es. Pire attentat aux États-Unis depuis le 11/09 ;
25 juin 2022, Norvège : attaque aux abords du London Pub à Oslo, lieu queer important. 2 mort·es, 21 blessé·es.
20 novembre : Journée internationale du souvenir trans
20 novembre 2022, États-Unis : nouvelle fusillade dans le Club Q, une boîte LGBTI à Colorado Springs. 5 mort·s, 18 blessé·es.

La Maryposa, photographiée par Kant Stud (2022)

5 décembre 2022, 19h35, France : L’émission Touche pas à mon poste (TPMP) diffuse une vidéo de l’artiste La Maryposa (Bordeaux), sans son accord, et lance un débat sur elle et sur un événement destiné aux enfants. La « Cabababy party » est un « événement d’éveil, pour les enfants de 0 à 3 ans mais aussi pour les parents voulant partager une après-midi autour du thème de la petite enfance » comme l’explique La Maryposa. Moment de jeux, de discussions avec des professionnel·les de la petite enfance et spectacle adapté ponctuent ce moment qui est pensé en premier lieu pour les tou·tes petit·es. Les drags font bien plus peur aux conservateur·ices qu’aux enfants qui n’y apportent aucun jugement et qui profitent pleinement du spectacle.
TPMT étant ce qu’elle est, cet extrait est largement relayé sur les réseaux sociaux et bien vite récupéré par les groupuscules d’extrême droite. La Maryposa est alors la cible des militant·es d’extrême-droite, son nom et son visage circulent, la mettant physiquement en danger. Harcelée et insultée, elle poste un droit de réponse le 9 décembre sur son compte Instagram. La médiatisation d’une artiste drag défoule la haine et ouvre une brèche dans le débat public pour les membres de l’extrême droite. Les réseaux s’enflamment et tout et n’importe quoi est publié, fausses informations et montages, pourvu que cela nuise à notre communauté et à l’image des artistes drags.

16 janvier 2023, Lamballe-Armor : Lecture de contes par des drag queens en péril
Le 21 janvier est prévue à Lamballe-Armor (Côté d’Armor) une lecture de contes par Broadway French, collectif de drag queens, dans la bibliothèque municipale. Un événement joyeux et bienveillant qui devient la cible de « VIA, la voie du peuple » (mouvement conservateur chrétien fondé par Christine Boutin), soutenu par la candidate locale Reconquête, Marie-Pierre Lecat. Ces militant·es accusent les artistes et dans leur élan la mairie de faire la promotion de l’idéologie LGBT et lancent une pétition « Halte à l’endoctrinement des enfants ».
Thierry Gauvrit, le maire, maintient l’événement et réaffirme le besoin de telle animation.

24 janvier 2023, Toulouse : Annulation d’une lecture pour enfants animée par deux artistes drag, Shanana Banana et Brandy Snap.
Les ancien·nes militant·es e Génération Identitaire – aujourd’hui Furie Française – et leurs collègues de la Manif Pour Tous organisent une pétition pour faire annuler l’événement dès le début du mois de décembre, dans la foulée des débats sur La Maryposa. France 3 note qu’au lundi 23/01 elle comptait 5000 signatures. Pour chaque soutien, pour chaque nom sur cette liste, s’en suit des hordes d’insultes contre les artistes et plus globalement contre notre communauté LGBTI.
Le maire de Toulouse, Moudenc, est déjà connu pour ses positions conservatrices. Sans surprise la mairie explique : « Ce choix de programmation – qui n’a donné lieu à aucun visa ou aval de la part des élus – peut déstabiliser une partie du public. Ce n’est évidemment pas la volonté de la Collectivité ». Les personnes qui se rendent à ces événements savent exactement en quoi ils consistent et c’est par leur particularité qu’ils attirent du monde. Nous soulignerons que Moudenc travaille étroitement avec Jean-Baptiste De Scorraille, membre actif de la Manif pour Tous et militant d’extrême droite. Moudenc finit par proposer un autre lieu pour la lecture et par demander à Darmanin la dissolution de Furie Française. Nous le savons déjà, les dissolutions de groupuscules d’extrême droite ne servent à rien, voire sont contre-productives. Le lieu proposé par le maire est réservé uniquement aux adultes ce qui est à l’encontre du concept même de « lectures pour enfants ».
Shanna Banana et Brandy Snap ont décidé d’annuler l’événement, ne voulant pas se plier à la censure de Moudenc. Elles assurent par contre les lectures prévues les 4 et 18 février prochain.

Phénomène français ? Pas tellement.

Les états-unien·nes font encore partie des premier·es à s’organiser contre les artistes LGBTI et drags. Les élus républicain·es s’organisent pour contrer chaque événement et ressassent les mêmes arguments. Au centre de ces derniers : les enfants. En juin dernier et en plein mois des fiertés, les Proud Boys (mouvement d’extrême droite) ont lancé une attaque contre des lectures en Californie, dans l’Indiana, au Nevada, où se trouvaient des enfants avec leurs parents. Un homme est venu armé devant une bibliothèque où se tenait une autre lecture au Nevada. A Lakeland en Floride c’est une douzaine d’hommes avec des drapeaux nazis qui se regroupent pour contester la tenue d’un gala de charité où se produisaient des drag queens. A Dallas (Texas) c’est une bonne dizaine de manifestant·es qui se rassemblent devant un bar organisant un brunch avec show drag en criant « Le Christ est roi« . En octobre on relève un affrontement de près de 200 personnes dont une partie armée de fusils semi-automatiques devant un pub hébergeant une lecture pour enfants (Oregon). Le média La Presse fait remonter cette haine organisée à 2015 et la création de l’association Drag Queen Story Hour à San Francisco. Cette dernière organise des lectures de contes dans des bibliothèques animées par des drag queens, défendant des animations inclusifs et ouverts.
Le 15 juin 2022 l’élue de Géorgie Marjorie Taylor Greene tweete qu’elle souhaite une proposition de loi pour interdire la présence d’enfants aux spectacles de drag queens. Dans cet élan, Lauren Boebert (représentante républicaine au Colorado) a tweeté « A toutes les drag queens : ne vous approchez pas des enfants de la 3e circonscription du Colorado ! » comme le relève La Presse, son message vient en réaction contre une lecture de drag queens prenant place dans son Etat (août 2022). Un événement drag ayant lieu dans un restaurant texan a dû être défendu par des militant·es d’extrême gauche armé·es afin d’éviter une montée de violence contre les personnes à l’intérieur. Christopher Rufo est une des figures incontournables de ces attaques ciblées, il travaille depuis des années contre les minorités et nos communautés. On lui doit la loi contre la « théorie critique de la race » (2021) et aussi la volonté de changer le titre de « drag queen » pour « strip teaseuse trans« . En ce sens, il souhaite recentrer les débats sur la sexualisation qui est – pour lui – un élément intrinsèque à la pratique du drag. Impossible de ne pas faire le lien avec la loi Don’t Say Gay promulguée en Floride. L’année 2022 enregistre quelques 200 projets de loi visant à réduire les droits des personnes LGBTI.

Début 2023 : projet de loi permettant d’accuser une drag queen se produisant en présence d’un enfant de crime, entraînant une peine d’emprisonnement jusqu’à 6 ans.

Défendre les enfants, empêcher la sexualisation, l’endoctrinement homo/trans, supprimer une pratique qui rend les hommes faibles, la décadence occidentales, la crise de la masculinité… les peurs des conservateur·ices mélangent beaucoup de notions et ont besoin d’une figure ennemie bien dessinée, bien déterminée, afin de simplifier les attaques et leurs discours. Les militant·es d’extrême droit états-unien·nes se sont donc tourné·es vers les drag queens, censées incarnées toutes ces attaques contre la sacro-sainte famille cishétérosexuelle et le système patriarcale. Et les français·es suivent le même chemin.

Comment ne pas se souvenir des années 2012-2013 en France ? La Manif pour Tous (LMPT), Civitas, les agressions, les contre-rassemblements, les menaces… Des adolescences brisées, des générations traumatisées… mais aussi les enfants manipulés et amenés de force par leurs parents aux manifestations LMPT alors même qu’ils/elles étaient au placard. Je me rappelle arracher les stickers de Civitas montrant des photographies de pride où étaient présents de jeunes enfants, comme si nous les perversions. Je pense que nous sommes sommes nombreux·ses à avoir reculé notre coming out, attendant une période plus calme. Le gouvernement Hollande faisait traîner le traitement de la loi, donnant de la force aux manifestant·es de droite, faisant monter les tensions et les violences.
Nous noterons que Marguerite Stern récupère le débat autour de la lecture toulousaine afin de réaffirmer ses positions droitardes, homophobes et transphobes. Elle affiche des images de personnes en compagnie de jeunes enfants censées représenter les lectures des drag et qui ne correspondent même pas à des photographies françaises. Elle sera relayée par Furie Française, réaffirmant son positionnement politique.

Aujourd’hui ils/elles s’attaquent aux artistes de nos communautés, une fois de plus : à nous de faire bloc. Les lectures de drag pour enfants ne sont pas une nouvelle pratique de quelques mois, mais s’inscrivent plutôt dans les dernières années et ce, dans plusieurs villes et pays où elles rencontrent un franc succès.
Le succès de la première saison de RuPaul’s Drag Race en France a fait des artistes drag queens des figures publiques, représentantes de l’ensemble des communautés LGBTI. C’est le côté négatif de ce genre de programme, même s’il y aura toujours une personne prise à parti pour tou·tes. Dans un argumentaire politique il est plus simple de montrer du doigt une cible plutôt que d’expliciter ses pensées, il s’agit de la technique préférée de l’extrême droite, et toutes les minorités vont y passer. Nous sommes donc responsable de la décadence de la France pendant qu’ils/elles se battent pour garder la puissance du pays. C’est quelque chose de simple à dire dans les médias, ça prend peu de temps d’antennes et ça permet que n’importe qui puisse le répéter sans avoir à comprendre les tenants et les aboutissants de la place des personnes LGBTI dans une société patriarcale. Il est plus simple de montrer du doigt les artistes drag que de les inviter avec respect et de les laisser expliquer leur démarche et les bienfaits pour les enfants. Nous savons que les enfants n’ont aucun problème avec les drag queens et ne se posent pas autant de questions, ce qui compte pour eux et elles c’est de passer un bon moment avec des personnes habillées de façon magique leur raconter des contes.

Photographie de groupe pour le show à la Médiathèque de Pau : DeLaBeuhChaire, La Bondage, Robin des Doigts, l’équipe de la Médiathèque et celle de notre partenaire AIDES64, Camomille, moi-même et Enza Fragola (mars 2022)


Lorsque j’ai organisé un show drag à la médiathèque André Labarrère au centre de ma ville, Pau, les enfants et leurs parents étaient enchanté·es de voir les artistes drag dans ce lieu; lors des shows à la Centrifugeuse des parents viennent avec les jeunes enfants et leurs ado sans aucun soucis et je n’ai jamais reçu de plainte. Depuis 2018 ces événements sont à chaque fois une réussite, nos salles sont pleines et les sourires à la fin méritent tous les efforts déployés. Cette année aussi nous préparons une nouvelle exposition et un nouveau show, je ne peux pas ignorer les attaques actuelles, moi aussi j’y pense, je pèse le pour et le contre, est-ce un risque pour les artistes ? comment gérer s’il y a un problème ? Nous ne pouvons céder à la pression et la censure, nos événements doivent continuer, nous devons célébrer nos artistes et toujours : faire front.

Une pétition de soutien aux artistes toulousaines est ouverte, je ne peux que vous inviter à la signer et à la partager. Le collectif reste notre force, nous nous devons de faire union.

J’espère ne pas avoir à donner de suites à cet article, que ces attaques cessent, mais rien n’est moins sûr. Les attaques politiques pleuvent contre les classes populaires et les minorités, nous ne pouvons nous voiler la face en passant que rien n’est lié, mais nous foncerions dans le mur.

Article du 27/01/22
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