
On parlait partout de « Christo » parce que l’histoire de l’art a bien aimé résumer les productions du couple au seul nom de … l’homme. Donc lui c’est Christo Vladimiroff Javacheff, et ELLE c’est Jeanne-Claude Denat de Guillebon. Donc c’est à deux qu’ils/elles travaillent .Leurs projets commencent dans un atelier, où iels choisissent les bâtiments, mettent en place les plans, les phases de construction, réalisent des maquettes etc. Pourquoi emballer des bâtiments ? (déjà pourquoi pas ?) Iels questionnent la symbolique de ces dits bâtiments. L’étude, la mise en place et le démontage durent systématiquement plus longtemps que le temps d’exposition, généralement de 2 ou 3 semaines. La notion d’éphémère fait partie du processus, induisant une possibilité de changement de signifiance du bâtiment, courte ou définitive.

En 1995, le couple emballent le Reichstag. C’est sur ce bâtiment que les Soviétiques plantent le drapeau rouge à la libération, mais aussi devant qu’a été fêté la réunification berlinoise. Actuellement il s’agit du Parlement allemand (Bundestag). Si la mise en place a été en 95, iels ont planifié cet emballement depuis 71, se sont rendu-es plus de 50 fois à Berlin, se sont pris 3 refus par les autorités allemandes, et enfin qu’elles acceptent. Un de leur plus gros succès, tant en terme technique qu’en terme médiatique. Ce qui compte pour les artistes est la réaction du public, faire réfléchir sur notre environnement naturel et construit, un art dans l’espace public, un art populaire pouvant être aux yeux de toutes et tous, même ceux et celles qui ne les aiment pas. De même que pour le Reichstag, l’Arc de Triomphe a demandé plusieurs années de travail au couple, en créant une multitude d’études préparatoires. C’est d’ailleurs avec la vente de ces dernières qu’iels financent leurs créations et leur mise en place. Donc pas de fake news : l’Etat français n’a pas financé cette oeuvre, ce sont bien les fonds du couple qui ont payé tout. Ce matin j’entendais à la TV un gars dire que cet argent aurait pu aller à la conservation du bâtiment. Mais la restauration des bâtiments classés en va de la responsabilité de l’Etat et non d’autres artistes. On a trois équipes jour et nuit pour emballé le bâtiment, qui nécessite 25 000 m² de tissu recyclable argent bleuté et 3 000m de corde rouge. Pour les artistes, les plis créés par le drapé du bâtiment créent du mouvement, donnent vie au bâtiment mais aussi lui accordent une certaine sensualité qui donnerait envie de toucher le tissu (et donc le bâtiment). L’idée n’est pas de « cacher » le bâtiment, ou comme certains le pleurent sur les plateaux tv ce n’est pas une « représentation de la cancel culture ». Messieurs il s’agirait de se renseigner avant d’ouvrir sa bouche. Mettre en paquet un monument, c aussi le re-dévoiler juste après. Parlions-nous jusqu’à présent de la symbolique de l’Arc du Triomphe sur les plateaux tv ? Parlions-nous de l’importance des oeuvres dans l’espace public et de leur nécessaire restauration et conservation ? Non. Il suffit qu’un couple d’artistes le cache pour qu’on le redécouvre. Il s’agit plus d’une entreprise visant à faire redécouvrir notre patrimoine qu’à le « cancel », une nécessaire installation pour sortir l’art des musées, enlever l’art aux élites et le présenter à toutes et tous de la même manière, dans la rue. Cela faisait presque 60 ans que le couple et surtout Christo rêvait d’empaqueter l’Arc de Triomphe, il aurait pu le voir de son vivant s’il n’y avait pas eu la pandémie, mais il décède en mai 2020, à 84 ans. C’est donc une œuvre posthume, à titre d’hommage même. Son neveu déclare à ce sujet : « Nous pouvons réaliser ce projet sans lui aujourd’hui, car Christo et sa femme ont déjà dessiné tous les aspects visuels et artistiques ».
Ce texte a été d’abord publié sous la forme de thread sur mon compte twitter (@mhkzo). Il a été largement partagé et commenté, ce qui m’a valu une bonne visibilité médiatique.
Konbini [lien]
Le Bonbon [lien]
Thread repris dans l’émission « 28 minutes » d’Arte
Interview dans Der Freitag

