« Karl Lagerfeld : A Line of Beauty » : le MET Gala 2023, on en pense quoi ?

Article paru le 05/05/23

Le Met Gala existe depuis 75 ans et a été lancé en 1948 par la journaliste Eleanor Lambert. C’est Anna Wintour qui occupe sa place depuis 1988, en tant que rédactrice en cheffe de Vogue US. Le Met Gala consiste en une soirée d’ouverture de l’exposition annuelle du Costume Institute du MET Museum, le dress code étant la thématique développée dans l’accrochage. Cet événement invite des célébrités à défiler dans une tenue unique, faire sensation auprès des journalistes et des médias, mais aussi les enjoint à faire des dons financiers conséquents au musée.

Cette année le Costume Institute ouvre « Karl Lagerfeld : A Line of Beauty », une exposition-hommage au couturier Karl Lagerfeld. Figure emblématique de la mode contemporaine pour son dessin, sa vision de la haute couture mais aussi de la société. On rappelle que malgré l’encensement de cet homme, il ne reste pas moins une personne dénonçant la politique allemande favorable à l’immigration, évoquant même sa volonté de changer de nationalité. Lagerfeld est également connu pour ses phrases misogynes et grossophobes, que nous ne publierons pas ici mais qui sont faciles à retrouver sur le net si vous aimez souffrir. Il ne fait aucun doute que nous aurions tou·tes préféré un MET Gala en hommage à Vivienne Westwood mais Anna Wintour ayant été une amie proche de Lagerfeld on ne pouvait pas y échapper.

Anna Wintour et Karl Lagerfeld, photographie par Christopher Anderson (2008)

Les dates pour comprendre le parcours de Karl Lagerfeld

1933 : naissance à Hambourg (Allemagne)
1952 : installation à Paris pour devenir créateur de mode
1954 : vit de ses illustrations de mode
1954 : remporte le Prix du Secrétariat international de la laine (aujourd’hui le Prix international Woolmark) pour la catégorie manteau [Yves Saint Laurent le remporte pour la catégorie robe, Pierre Balmain fait parti du jury]
1955-62 : secrétaire de Pierre Balmain
1959 : nommé directeur artistique chez Jean Patou
1965 : travaille pour la maison Fendi
1983 : nommé directeur artistique chez Chanel qui est à la dérive
1984 : crée sa propre maison de prêt-à-porter
1985 : fait officier de l’ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne
1986 : Dé d’or pour la maison Chanel
1989 : décès de son compagnon Jacques de Bascher des suites du sida
1991 : directeur artistique chez Chloé, afin de redorer la marque sur la descente
1991 : prix international du conseil des créateurs de mode américains
1996 : prix culturel de la société allemande de photographie
1998 : ouverture de la Lagerfeld Gallery consacrée à la photographie et aux livres
2002 : prix Geoffrey Beene du conseil des créateurs de mode américains
2004 : collection capsule de prêt-à-porter de 30 vêtements pour H&M
2009 : a vendu ses deux marques à Tommy Hilfiger pour 30 millions de dollars, il lance une nouvelle ligne « K pour Karl », il est rejoint en parallèle par Amanda Harlech (ancienne consultante de John Galliano) chez Chanel
2010 : fait commandeur de la légion d’honneur
2012 : crée une nouvelle marque dispo qu’en ligne sur net-a-porter, nommé KARL
2012 : élu « le styliste le plus influent des 25 dernières années »
2019 : décès suite à un cancer de la prostate

Karl Lagerfeld et Choupette, photographie tirée de l’Instagram de Choupette

Karl Lagerfeld a été repéré très tôt et a vite gravi les échelons pour diriger différentes maison de haute couture. Il a été appelé chez Chanel et chez Chloé pour des institutions à la dérive qui avaient besoin de renouveler leur image et d’impulser une nouvelle dynamique. Lagerfeld apporte aussi un gros changement avec la signature d’Inès de la Fressange comme égérie exclusive pour la maison Chanel : cela a lancé la starification de certaines mannequins et les contrats d’exclusivité.
Celui qu’on surnommait Le Kaiser de la mode infusé de l’humour dans ses créations pour détonner avec le sérieux des défilés. Il était aussi collectionneur de mobiliers, d’arts décoratifs, d’œuvres contemporaines mais surtout de livres (~ 300 000). D’ailleurs, en 1999 il ouvre une librairie ) côté de son atelier appelée 7L, il sera éditeur un an après (spécialisé dans les livres d’arts visuels et de photographies).
Il cultivait une passion effrénée pour les chemises blanches, la légende dit qu’il ne savait même plus combien il en avait, caractérisées par son col très haut pour cacher son cou (vu comme le signe de l’âge). Elle venait se confronter au costume cravate noir, ses mitaines et ses lunettes fumées qui lui permettait de scruter les gens sans le montrer. Il aimait se montrer froid et ne voulait pas montrer ses émotions et ses réactions. On gardera en tête son amour sans limite pour la petite Choupette qui fut elle aussi une invitée du Met Gala.

L’exposition

Affiche de l’exposition au Metropolitan Musem, section Costume Institute

Avec plus de 150 vêtements signés Karl Lagerfeld, l’accrochage se veut riche et complet. Beaucoup d’archives et de vidéos rythment la visite afin de placer le public au sein de la création de haute couture, et dans l’émulation des runways.
Les liens entre Lagerfeld et le MET sont forts : en 2018 il y organise un défilé métiers d’art d’inspiration égyptienne pour Chanel (dans le temple de Dendur), aussi, très proche d’Anna Wintour, il était de tous les galas. D’ailleurs, pour accompagner l’ouverture de l’exposition Anna Wintour a demandé à 10 designers de créer un look chacun célébrant Karl Lagerfeld, tenues photographiées par Annie Leibovitz et publiés dans le numéro de Vogue US du mois de mai.

On peut douter que l’équipe du MET propose une vision critique du créateur en affichant ses propos hautement problématiques pour dénoncer une vision de la mode qu’on espère incinérée avec lui. Ce serait hypocrite de tenter d’excuser ses propos avec des arguments comme son âge ou une appréhension du corps féminin d’une autre époque, il n’avait aucun souci pour intégrer les nouveautés et en lancer dans la mode. Il assumait complètement ses positions et les revendiquer comme la bonne façon de choisir ses mannequins et de traiter les femmes.
Prenons ce qu’on veut prendre, et ne le remercions pas.

Le gala

Là ça devient très subjectif évidemment, puisqu’on juge les tenues.
Comme chaque année on a toujours les hommes en costards qui ne font aucun effort, les gens qui ont pas compris le thème, les tenues mal-finies, et celles qui restent en tête parce qu’elles sont incroyables. Alors cette année, on en pense quoi ?
Tout d’abord je voudrais aborder la question de la tenue de Kristen Stewart, qui pour moi et est une meilleurs de la soirée. Prendre une tenue masculine pour une femme ça reste un acte engagé dans le milieu de la mode, surtout en connaissance les positions de Lagerfeld, et aussi une pensée très wittigienne de la lesbienne. Dans la vague de haine qu’elle a suscité j’y vois surtout de la lesbophobie, aucun argument vraiment sur la couture, mais voir une femme lesbienne dans des fringues d’hommes choque toujours autant en 2023, posons nous les vraies questions : pourquoi les gens ont autant d’énergie à être lesbophobe alors que d’autres tenues méritaient bien plus de critiques ?

Kristen Stewart en Karl Lagerfeld

Par où commencer ? Peut-être par le clubs des hommes en costume ? Il y en avait tellement que j’avais du mal à les reconnaître. Certains ont tenté de rajouter une broche, une fleur pour la petite ref, mais c’était insuffisant. On ne sait pas s’ils vont à un mariage, un enterrement, une cérémonie ou un dîner important alors que le MET Gala est l’occasion ou jamais d’être too much, de porter une tenue qu’on ne porte jamais ailleurs ? Du gâchis

Je vous vois râler d’ici : oui certains hommes étaient bien habillés, dans le thème, dans ce qu’on aime. Merci à eux d’avoir eu le courage et le goût d’être aussi stylé :

Évidemment on retrouve les attributs du couturier : costume, cravate, grand col, noir et blanc, lunettes fumées, mitaines, perles, tweed, etc.

Du côté de Gustav Witzoe, on notera qu’il porte un corset pour créer cette silhouette en sablier qui est accentuée par les rayures verticales de la tenue.

Côté femmes

De l’excellent et du boring. Mais comment opter pour une robe de soirée quand on peut avoir LA robe de soirée ? Pourquoi avoir une tenue aussi ennuyeuse que Vanessa Hudgens ou Lee Michele ? En même temps les deux étaient en Michael Kors donc qui est étonné-e ? Pas moi.
Il n’est pas le seul à avoir déçu, Fendi, Ralph Lauren sont aussi à pointer du doigt. Mais je pense que mon crève-coeur de la soirée est la tenue de Elle Fanning, une robe Vivienne Westwood mais on dirait qu’elle a une robe de mariée avec un branchage et qu’elle se prépare à une soirée bizarre dans les bois ? Pourquoi ?
Je n’ai pas compris le choix d’Ariana DeBose, jaune ? Même si Lagerfeld l’a utilisé à la fin de sa carrière il a répété à plusieurs reprises que cette couleur était laide.

On a aussi eu des tenues incroyables, aux références fines et à la finition parfaite.
La tenue de Dua Lipa est la robe de mariée du défile autonome hiver 1992, sans le chapeau cependant. Penelope Cruz a aussi choisi une tenue de mariée, du défilé 1988. Les accessoires de tête de Florence Pugh et Tems me rappellent le défilé 1992 mais aussi 2019 où Lagerfeld réutilise la plume.

J’en ai oublié ? Oui, je vous prépare un top et un flop, hommes et femmes mélangé-es (bon ok en homme y a que Jared Leto, mais la bande en costards font tous partis du flop déjà). Pour mon flop il y a des tenues boring, je n’ai pas pu toutes les mettre mais elles sont représentées par la tenue de Brittany Mahomes (et celle de Patrick Mahomes aussi…), côté cringe on a Jared Leto évidemment. La tenue de Chloe Fineman ne lui va pas tellement, cette grosse ligne de roses noires lui mange tout le buste et la rend toute petite (et son sac ne ressemble pas du tout à Choupette). Christina Ricci comme Kim K ont des tenues qui ne vont pas du côté technique : celle de Ricci est trop large pour elle, ce n’est pas ajusté et fait des plis bizarres suivant les poses, quant à Kim K malgré le travail excellent de Schiaparelli la gaine et le soutien-gorge couleur chaire sont beaucoup trop visible et donne un aspect cheap à l’ensemble. JLO… ça ne va pas, ça lui donne une silhouette très bizarre avec la bande noire sur la taille désespérément vide. Elle n’a pas l’air à l’aise, il manque quelque chose pour que ça fonctionne. Grace Elisabeth et Diane von Furstenberg j’ai pas compris, j’ai détesté. Et enfin Eaddy Kiernan Bunzel, son teint est une attaque, elle m’angoisse, la coupure de la chemise est trop haute pour sa silhouette, on dirait qu’elle étouffe (ce qui n’explique pas la blancheur de son teint), la taille n’est pas marquée, comme Ricci ça manque d’ajustement.

Et dans mon top, hommes, femmes et genderfluid on retrouve bien évidemment Rihanna qui a supplanté la concurrence sur son Instagram quelques jours avant le MET Gala histoire de monter la pression. Sa tenue du jour J était encore mieux, monochrome blanc où l’on retrouve les fleurs de KL en gros format. J’ai adoré ses lunettes-cils, un mood très Rihanna.

Parmi les meilleurs looks masculins on trouve évidemment le top Alton Mason, qui a été le premier mannequin noir à défiler pour Karl Lagerfeld. Il s’est fait connaître sur les réseaux sociaux et son premier runway était pour Kanye West en 2016, depuis toutes les maisons se l’arrachent. Pour le gala il portait une tenue de marié signé Chanel composait d’un corset associée à une combinaison en dentelle blanche, un bouquet de fleurs en tissu, un voile et des bijoux Messika. J’ai beaucoup aimé la découpe du corset, le jeu de couvert/découvert et les épaules franches.
Jeremy Pope était spectaculaire dans sa tenue Balmain, sa cape immense portait le visage de Karl Lagerfeld. La découpe du col était très bien joué avec un col laissant voir les deux épaules ce qui est généralement réservé aux femmes.
Pedro Pascal, sublime en rouge avec cette jambe visible à travers la veste longue : on remercie la maison Valentino. On sort de l’attendu noir/blanc pour du noir/rouge, rappelant les tenues monochromes rouges de Lagerfeld et on apprécie le port du short allié avec des bottes noires.
Didi à quant à lui fait le choix du total black outfit avec ce manteau imposant – dans lequel il souffrait manifestement de la chaleur -. Des fleurs l’ornent en lignes répétées tandis que son costume joue sur les textures. Que du noir également pour Jordan Roth dans cette tenue somptueuse de Schiaparelli. Jordan Roth est un producteur de théâtre qui est propriétaire de ses propres lieux à New York, les Jujamcyn Theaters. Il gagne quatre fois le Tony Award, mais est récompensé également par the Human Rights Campaign, une organisation pour les droits des personnes LGBTI. On ne sera donc pas étonné-e de l’androgynie de sa tenue, qui nous rappelle ses anciennes. Cheveux plaqués en arrière, robe au buste formé par un éventail géant et bas droit, il porte de longs gants noirs très raffinés et un maquillage rose au-dessus des yeux, très théâtral, très queer.
Toujours très queer, Harvey Guillén, l’acteur d’origine mexicaine est rayonnant dans cette tenue entièrement rose. Le costume en tweed avait cette traîne qui ne commence qu’à la taille et cache quelque peu le pantalon pour jouer l’illusion de la robe et donner du volume à l’ensemble. Côté volume on était servi-e avec les énormes roses qu’il arborait au poignet gauche et à l’épaule droite. De façon inversé le costume avait des pièces de tissu rose poudré comme le dessous de la cape ce qui donne beaucoup de caractère à l’ensemble. Les cheveux plaqués lui vont très bien, les colliers de perles blanches, vraiment un sans faute.
Je finirais sur Conan Gray, une tenue aux multiples références signées Balmain. La première maison de Karl Lagerfeld revisite le classique costume avec une version pleine de perles et de paillettes. On retrouve le col haut et cassé de KL, la cravate ornée de la broche qu’on a vu sur beaucoup de tenues masculines d’ailleurs. Le haut de la chemise blanche se fond dans le tissu noir pailleté avec une séparation de perles blanches mettant en valeur les deux parties. Le dos de la tenue propose une belle longueur ce qui agrandit la silhouette de Gray. Pour finir, l’accessoire ultime de KL était l’éventail qu’on retrouve ici en version perlée, un travail très fin sur les différents volumes. Je trouve cette tenue fidèle à Lagerfeld et en même temps très moderne (gros coup de cœur aussi).

Les fleurs se sont retrouvées partout dans ce MET Gala. On peut penser au défilé Chanel printemps-été 2015 au Grand Palais où Lagerfeld en avait fait le fil rouge du runway comme à celui printemps-été de 2019 dans un style plus Pompadour. Le tweed bien évidemment était partout, tissu emblématique de Chanel c’était impossible de faire sans. La tenue d’Anna Hathaway par Versace est incroyable, gros coup de cœur, l’ouverture sur toute la robe donne à ses jambes une longueur infinie. Pour habiller ce « vide », Emmanuel Gintzburger (à la tête de Versace depuis un an seulement) choisit des épingles à nourrice ornées de perles nacrées qui sont un élément caractéristique de Chanel. Les références sont fines et la silhouette tout à fait réussie pour Anna Hathaway.
Ai-je besoin d’en dire plus pour Kristen Stewart ? Une reine dans ce costume masculin de KL. Une icône lesbienne butch, on en veut encore.
Ashley Graham est parfaite pour cette tenue d’Harris Reed qui fait référence au Chanel des années 80/90 avec les expérimentations de volume, le côté très dramatique des plis. Je pense évidemment à la robe portée par Inès de la Fressange pour le défilé automne-hiver 1987.
Yung Miami met le volume à l’honneur avec une tenue très sexy, toute noire comme Didi. On retrouve le voilage noir, les plumes et les perles de KL dans un style beaucoup plus extravagant et mieux adapté à la personnalité de Yung Miami.
Cardi B nous offre – comme Rihanna – deux tenues, ici je garde en tête la deuxième : la poupée KL. Elle adopte les poses typiques des Barbies en portant cette robe à l’allure rigide. Cette dernière commence par un haut de chemise sans manche, rehaussé d’un bustier noir qui fait le tour de la première pièce. Le bas est une jupe à cerceaux noire avec les roses les plus grosses de la soirée.
Une toute autre ambiance du côté de Cara Delevingne : kimono à cape et mini jupe le tout en blanc qui vient en contraste avec des mitaines et des chaussures ouvertes en cuissardes. Delevingne paraît prête pour se battre avec son regard charbonneux (je me dévoue). On peut faire plein d’interprétation pour ce choix de tenue qui peut paraître étonnant pour lae mannequin de Lagerfeld : combat contre la dépression, contre les normes de genre et d’orientation sexuelle, contre la sexualisation des mannequins et des personnes vues comme femmes. L’ouverture profonde de son buste ne me paraît pas sensuelle tellement la tenue a de caractère, de force mais aussi d’androgynie. Je pense à la tenue boxe présentée par Chanel au défilé automne-hiver 1992 et à la campagne automne-hiver 2014 où Cara Delevingne notamment a posé sur un ring de boxe.

Pour finir, Janelle Monae, Sara Choi et Teyana Taylor portent toutes les trois des tenues signées Thom Growne. Et même si la soirée était en l’honneur de Karl Lagerfeld, c’est en réalité Thom Growne qui a pris toutes les lumières. En plus de ces trois tenues, il signe aussi celle de Jena Ortega, Bella Ramsey, Shai Gilgeous, Baz Luhrmann et Pusha T qui sont toutes incroyables. Je comprends moins le classique de celles d’Alexander Skargard, Trevor Noah et Daniel Ricciardo, mais vu les banger précédents on lui pardonne. C’est le créateur le plus cité dans les « top » réalisés par des revues de mode en ligne, il signe incontestablement les meilleures tenues.
J’ai hâte de voir ses prochains runways et ses tenues pour le prochain MET Gala en 2024.



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