Grayson Perry à Paris, mais où est Claire ?

L’exposition

Le 19 octobre s’est ouverte la première rétrospective sur l’artiste queer britannique : Grayson Perry. Vanité, Identité, Sexualité. La Monnaie de Paris, après l’exposition Women House, réaffirme sa volonté de visibiliser l’art contemporain, la diversité des artistes et les questionnements sur le genre. Grayson Perry est exposé dans plusieurs pays, il a reçu à la fois une reconnaissance de ses pairs et de l’institution. 55 de ses œuvres sont présentées sur les 2 étages des salons, avec une division en 10 chapitres thématiques. Ce découpage permet aux visiteur·ice·s de comprendre toute la complexité du travail de Perry et la diversité de ses questionnements.

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Grayson Perry réinvente une masculinité où l’homme ne serait plus synonyme de violence et de domination. Il s’intègre dans le groupe hétéroclite des artistes queer. Il tire notamment son originalité de ses matériaux. En effet, il est l’un des seuls qui utilise la céramique pour propager ses idées. Il commence ce medium au début des années 1980, peu valorisé en art contemporain il permet toute fois une multiplicité des techniques (sgraffite, textes manuscrits, pochoirs, émaux, transferts). La céramique se raccroche au quotidien, à un art plus proche du peuple. C’est une volonté de Perry de rendre sa pratique accessible au plus grand nombre. De plus, ses créations rendent floue frontière entre artiste et artisan. Il s’inscrit pleinement dans les grands questionnements de l’histoire de l’art. Si son identité queer peut le marginaliser il a tout de même une reconnaissance institutionnelle : il gagne le prix Turner en 2003, il fait parti des collections de grands musées comme le Tate Moderne à Londres et le Museum of Modern Art à New York.

Grayson Perry complète sa production autour des rôles genrés et de la notion d’identité de genre en incarnant Claire, son alter-ego. Elle devient l’égérie de ses propres créations, haute en couleur et pétillante. L’artiste ne s’arrête pas là puisqu’il a déjà présenté plusieurs séries télévisées comme All In The Best Possible Taste ou Who Are You ?. Sa dernière, intitulée All Man se centre sur la masculinité et la possibilité d’une déconstruction de cette dernière.

Ce corpus très riche est retranscrit par le choix de 55 œuvres en 10 salles. Réalisé en partenariat avec le musée Kiasma d’Helsinki et le soutien de la galerie Victoria Miro de Londres, l’événement est organisée par la commissaire d’exposition de la Monnaie de Paris Lucia Pesapane. C’est autour des thèmes : identité, masculinité, (nouvelle) masculinité, hospitalité, historicité, antiquité, sexualité, société, divinité et vanités, que s’articule la déambulation du public. Pour accéder aux premières salles, le public monte un escalier et tombe sur une immense photographie de Claire, l’alter-ego de Grayson Perry. Au travers des salles nous pouvons comprendre toute la démarche de Grayson Perry et ses inspirations. Il cherche toujours à démonter le modèle dominant de la cishétéronormativité. L’œuvre Long Pig (2017, céramique émaillé) représente un cochon à deux visages : l’un bienveillant et l’autre menaçant. Cette binarité se retrouve sur les inscriptions posées sur son dos. D’un côté nous retrouvons des mots tels que hope, female, young, black et de l’autre white, old, right : les deux côtés semblent opposer image positive et image négative. Mais il est essentiel pour lui de proposer une alternative. Il présente une redéfinition des rôles où Alan Measles incarne une nouvelle masculinité. Alan est l’ours en peluche de Grayson Perry, sur lequel il a projeté l’image du père idéal. C’est une figure récurrente dans ses œuvres, tout medium confondu, comme avec Vote for Alan Measles for God (2004). Cette tapisserie de 2007 présente un Alan surdimensionné, avec une ceinture d’explosif, constitué de grenades et tenant une arme. Les éléments qui l’entourent ne sont pas plus joyeux puisqu’on trouve des cercueils, des crânes ou encore les avions qui se crashent sur les tours du 11 septembre. Plusieurs symboles religieux jonchent l’image. Cette image très violente d’Alan Measles est le résultat de discours politiques attisant la haine. La mention Vote Alan Measles for God pourrait nous laisser présager d’une image sereine et spirituelle, un appel à la paix puisqu’un appel à Dieu ; mais le résultat est tout autre, et nous rappelle les justifications religieuses de certains candidats de la haine.

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Perry s’empare du prisme genre / sexualité pour explorer fantasmes et pratiques dites marginales. La représentation de pénis est également un élément répétitif de son iconographie. Il peut prendre une taille importante dans ses créations en céramique, comme dans Object in Foreground (2016) où des transferts photographiques déportent l’attention de la forme globale de l’œuvre aux nombreux détails. S’attaquant aux sujets de société, il prend aussi comme sujet la (sur)consommation ou la culture anglaise.

« J’ai commencé à m’intéresser à des œuvres qui parlent de classe et de goût. Je trouvais rafraîchissante l’idée d’utiliser la tapisserie – symbole traditionnel de la réussite social des riches – pour représenter un drame courant, celui de la mobilité sociale » – Grayson Perry

Sur ses tapisseries il dépeint la vie britannique, ses mœurs et coutumes, ses évolutions. Ce medium fait régulièrement référence aux tapisseries religieuse, avec des clins d’œil discret, notamment avec un parallèle sur les titres. Il détourne la tradition du medium avec la volonté de le rendre plus accessible. La projection des classes populaire – en tant que public – sur ses tapisseries est considérablement aidée par les sujets qu’il choisit, ancrés dans leur quotidienneté, et finalement, les rapprochent d’un objet d’art qui leur était, à l’origine, éloigné.

Un alter-ego, Claire

Après la petite salle de contextualisation, le public se retrouve dans une salle avec un dispositif scénographique circulaire présentant à la fois des œuvres de Grayson Perry et des tenues de son alter-ego Claire. Perry raconte avoir fait l’expérience de son premier travestissement à l’âge de 7 ans. Très tôt il conçoit ses jeux comme une pratique du travestissement. Vers ses 15 ans, il commence à sortir en étant travesti. Aujourd’hui il conçoit son travestissement comme une véritable part de sa démarche artistique. Claire est une matriarche, une figure forte. Pour elle, il crée de nombreuses tenues. A cette collection se rajoute celle issue du concours d’une école de mode à Londres qui a pour objet la création d’une tenue dédiée à Claire. Une exposition a été créé autour de ses pièces textiles : Making Himself Claire : Grayson Perry’s Dresses (Walker Art Gallery, Liverpool, 2017-2018) [vidéo de l’artiste à ce propos]. Dans l’histoire de l’art nous connaissons une figure iconique qui s’était créé un alter-ego : Marcel Duchamp / Rrose Sélavy. Les deux séries en Rrose Sélavy témoignait déjà d’un soin particulier apporté aux tenues, Duchamp tenait à ce qu’elles traduisent directement de la place sociale qu’occupait son double féminin.

claire 05Mais ce qui est particulier avec la pratique performative de Grayson Perry c’est qu’elle est ancrée dans une réalité quotidienne, dans le sens où il ne livre pas à proprement parler de performances en Claire. Il ne convoque pas un public, ne décide pas d’un protocole et d’un mise en scène pour se montrer dans les vêtements de Claire. En réalité il va à des vernissages, des rencontres, des conférences en Claire : ce qui en fait une démarche spécifique et difficile à délimiter. La question pour les curateur.ices est : comment rendre compte de performances qui n’en sont pas réellement au sens strict et qui ne laissent aucune autre trace que quelques photographies qui ne traduisent pas en elles-même une action lisible ? Comment exposer la pratique du travestissement de Grayson Perry ? On pense en premier lieu aux portraits. En effet, les (auto)portraits travestis ont déjà une place dans l’histoire de l’art. La Monnaie de Paris a donc fait le choix d’exposer ses tenues comme objets, témoins (passés mais aussi futurs) de cette pratique du travestissement. Chacune des robes regorgent de détails atypiques et signifiants. Le dispositif en transparence permet au public de voir à la fois l’avant et l’arrière de la tenue.

Cette exposition est sans nul doute historique, à la fois puisque c’est la première rétrospective de l’artiste en France, que la Monnaie de Paris confirme son engagement auprès des artistes traitant des questions de sexualités et de genre, mais aussi en ce qui concerne les dispositifs muséographiques possibles pour traduire, témoigner des pratiques du travestissement. Avec la multiplication des artistes performeurs (notamment autour des questions de genre), les musées vont multiplier les scénographies pour réussir à transmettre et délecter le public.

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