Cet article a été écrit pour la revue créée par Morgane Golfier dans le cadre de son rendu annuel à l’école supérieure des Beaux-Arts de Pau.
Dans le milieu des drag queens nous pouvons rencontrer différents types de drag : la comique, la spooky (à comprendre l’original, la bizarre), la bitchy, la old school, la show girl ou encore la beauty queen. C’est sur cette dernière catégorie que nous allons nous arrêter. Les beauty queen sont des drag queen qui font primer leur beauté physique, celle de leur corps et/ou de leur visage, dans leur pratique du drag. En effet, il n’est pas essentiel pour toutes les queens d’être belles, pour certaines même cela pourrait être contre-productif voire antagonique avec leur personnage. Dans les différentes saisons de RuPaul’s Drag Race nous avons pu voir évoluer plusieurs beauty queens de talent, mais le jury leur reproche toujours le même type de choses : manque de polyvalence, manque de vulnérabilité, manque de personnalité.

Miss Fame
L’une des beauty queen les plus connues de RPDR est certainement Miss Fame (saison 7), ou de son nom civil Kurtis Dam-Mikkelsen, mannequin, maquilleur et chanteur. Miss Fame est invitée aux défilés de créateur·rices et devient incontournable dans le milieu de la mode. Kurtis Dam-Mikkelsen offre un personnage ultra féminin, mode, lisse, parfait sur du papier glacé. Son maquillage est toujours parfait, ses tenues correspondent systématiquement à une silhouette longuement réfléchie, sa vision de la féminité est proche de la perfection. Miss Fame est bien plus connue du grand public que d’autres drag queens passées par RPDR comme Milk ou Vivacious (saison 6) qui offrent une représentation du drag plus éloignée d’un canon de beauté féminin basé sur une vision masculine et hétérosexuelle. Les beauty queens placent leur ambition dans l’incarnation de la femme parfaite, d’une sorte de sur-femme au physique et à la démarche bien sous tout rapport, à la fois belle, idyllique et sensuelle. Les spooky queens, elles, vont continuer d’effrayer, de même que la comedy queen sera tournée en dérision. Nous avons pu le voir dans la saison 5 de RuPaul’s Drag Race où en finale se sont retrouvées Jinkx Monsoom (comedy queen) et Roxxxy Andrews (pageant queen) : Roxxxy s’était moquée toute la saison de Jinkx en disant qu’elle ne pourrait jamais être glamour et belle. Les remarques très dures de la pageant queen se faisait l’écho de toute une partie de l’auditoire de RPDR. Mais Jinkx Monsoom est la première comedy queen à être couronnée par RuPaul. Il est intéressant de noter que par l’humour, beaucoup de queens ont réussi à faire passer des messages politiques, comme Bianca Del Rio (gagnante de la saison 6) dans ses films.

Violet Chachki
Les beauty queens, ou pageant queens, participent à une course à la perfection qui coïncide avec celle imposée aux femmes quotidiennement : devoir être plus femme que femme pour satisfaire le patriarcat. Elles vont jusqu’à reprendre les anciens outils de contrainte des corps comme le corset et cet épisode mythique de RuPaul’s Drag Race où Violet Chachki (saison 7) défile avec une taille affinée à 47cm.
Les drag queens étant à l’origine des personnages politiques, défenseuses des droits des femmes et des personnes queers, au shows engagés, qu’en reste-t-il ? Est-ce que les beauty queens peuvent prétendre représenter toute cette histoire du drag avec une pratique basée sur la beauté physique ? Est-ce que toute pratique du drag est intrinsèquement politique et queer ? Avec les reines de beauté les discours politiques sont rares, en tout cas rarement verbalisés comme tels. Mais peut-on voir dans la performance du genre, ou plutôt, selon les termes de Judith Butler, dans la performativité du genre une pratique queer de façon presque essentialiste ? Le travestissement est-il toujours une parole chargée de sens ?

Trinity the Tuck
Le travestissement vient indubitablement troubler les notions de genre, les expressions de genre et l’idée de binarité stricte. N’importe quel travestissement au XXe siècle était intrinsèquement queer de par la rareté des représentations sortant de la binarité des genres. Mais à l’heure des réseaux sociaux et de RuPaul’s Drag Race, l’affirmation est-elle toujours vraie ? Nous avons une multiplicité des images de drag queens, qui peu à peu de la scène underground pour arriver face au grand public. Ce dernier, avec la culture et l’éducation qui est la sienne, va devenir consommateur du drag et par la même juge. Il va choisir ce qu’il aime et ce qu’il rejette. Les personnes extérieures au milieu queer vont avoir tendance à se sentir plus proches des beauty queens car elles correspondent à une féminité qu’elles connaissent et qui les rassurent. Malgré tout le fait d’être acceptée par une partie de la population qui n’aurait pas été touché par d’autres types de drag n’est-ce pas quand même une victoire ? C’est mettre un pied dans le monde extérieur, le monde des non-queers, des straights. Augmenter son audience en faisant des straights une partie de son public signifie que ces derniers ne se sentent pas en danger par le personnage présenté ; c’est-à-dire que le trouble dans le genre est acceptable parce qu’il correspond à une représentation binaire de la femme. Là où le public straight ne suit plus c’est lorsque les queens s’éloignent du chemin de la féminité idéalisée pour remettre en cause les diktats misogynes : car pourquoi voudrait-on représenter une féminité déclassée, imparfaite, revendicative alors que dans la hiérarchie des genres les hommes travestis sont eux-même déclassés vis-à-vis des hommes mais toujours au-dessus des femmes.
Le milieu du drag se transforme depuis qu’il fait vendre : il devient un véritable business. Les concours de beauté de drag queens sont un haut lieu du drag capitaliste, on y retrouve les mêmes enjeux et la même soif de compétition que dans n’importe quel concours de beauté. La question reste latente : mais où est le queer ? Les concours de beauté encouragent une féminité traditionnelle, où la ressemblance avec une femme est un but affiché. Pas de place au queer dans ce type d’événements où les personnalités lissées sont les plus appréciées. On peut voir dans le succès des beauty queens une forme de néo-libéralisation du drag, dans le sens où il y a mise en compétition réelle des drag queens pour un gain symbolique et économique mais aussi dans le sens où la marche à suivre pour gagner est de respecter les injonctions misogynes faites aux femmes. Cette néo-libéralisation s’accompagne de fait d’une dilution du potentiel queer de la pratique du drag, même s’il nous semble impossible de parler de sa disparition totale. Tant que le patriarcat existe, toute forme de drag présente, en soi, un certain potentiel queer, qui sera amené à être verbalisé ou non par la drag queen elle-même.
Nous pouvons voir dans les concours de beauté drag, mais aussi les shows de beauty queens la création d’un espace queer. Ces lieux émancipateurs, même s’ils sont retreints au temps du concours / du show permettent tout de même d’avoir un lieu de rencontre pour les non-straight. La multiplication de ces espaces permettent l’épanouissement de la communauté LGBTI autour d’événements positifs et enthousiasmants, et ainsi la création d’un système de connaissances et de solidarité. Les beauty queens ne favorisent peut-être pas la conscientisation et la politisation des personnes LGBTI présentes à leur représentation, mais elles permettent au moins la mise en place d’une hétérotopie éphémère au sens de Michel Foucault.
salut je te suis sur Twitter et je viens tout juste de découvrir ton site!!
je trouve cet article particulièrement intéressant en offrant une réflexion plus complexe que le simple fait de dire que le drag devient mainstream/cherche à se rendre populaire hors de la culture queer. c’est une critique que j’ai beaucoup vue et avec laquelle je peux difficilement être en désaccord mais me voilà éclairée sur ce que cela peut impliquer concrètement au sein de la pratique de cet art. pour autant je trouve que les pageant queens ne sont pas toujours les favorites du public, typiquement avec la dernière saison de RPDG!!
en tout cas bravo pour tes projets artistiques et tes écrits, je vais me pencher davantage sur ces derniers
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Merci pour ton commentaire ! Aux USA les pageants sont très plébiscitées, ce qui est different avec le public francophone en effet. Les effets sont encore plus complexes que ce que j’ai pu écrire dans l’article, le format est encore trop court. J’espère finir au plus vite ma thèse où cette question là est traitée bien plus en profondeur
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