Article publié le 25/05/23, Mharion Cazaux
Faire une suite à un article aussi douloureux n’est pour moi qu’une preuve supplémentaire de la nécessité d’organiser nos communautés LGBTI dans l’antifascisme. Nous n’avons plus le choix, événement après événement l’urgence se fait sentir.
Après avoir vécue l’année 2013, le meurtre de Clément Méric, la montée des groupuscules violents d’extrême droite, identitaires et autres néo-nazis, la manifestation du 9 mai m’a profondément choqué. Avec quelle facilité cette centaine de militants ont pu défiler avec des croix celtiques, des drapeaux noir au nom du C9M (comité du 9 mai), gueulant des slogans immondes et faisant des saluts nazis. Se dire que cela se passe aussi bien n’est pas acceptable, on devrait être capable de faire union et de s’y opposer, de rappeler que la rue n’est pas à eux, mais à nous.
Contexte
On voit régulièrement les attaques et les pertes de droits des personnes LGBTI dans plusieurs pays. Particulièrement aux États-Unis où les personnes trans sont la cible de maintes lois les amenant jusqu’à déménager d’État pour leur propre sécurité. En France, le parti d’extrême droite Rassemblement National a créé une association parlementaire contre l’écriture inclusive, la « propagande LGBT » à l’école, la « menace transgenre » en sport, ce « danger pour la civilisation ». Évoquant évidemment les drag queens qui feraient un « lavage de cerveaux » aux enfants avec leurs lectures de contes. À ce propos nous pouvons revenir sur des tweets de l’artiste drag Babouchka Babouche :
« Dans ces ateliers, des adultes portant des costumes de princesse, de pirate ou encore de fée lisent des contes à des enfants. A ces lectures, nous lisons des livres aussi transgressifs que Boucle d’Ours, Julian et les sirènes ou encore Elmer l’éléphant. La principale leçon de vie que les enfants retirent de ces lectures est que les histoires ça fait rêver et que le déguisement c’est plutôt marrant. Au final, ces ateliers lecture où des drag queens lisent des contes à des enfants ne semblent pas bien différents de tous les ateliers de lecture de contes où d’autres adultes déguisés en pirate, en princesse ou en fée ont de tous temps lu des contes aux enfants. » (28/03/23)
En parallèle les agressions physiques LGBTIphobes ont augmenté de 28 % entre 2021 et 2022 selon l’enquête de l’association SOS Homophobie. Lundi 24 avril, Lyon, un homme menace d’égorger un couple de femmes lesbiennes dans le métro. Le vendredi précédant c’est un homme qui a été frappé et chassé d’une station de métro lyonnaise en raison de son homosexualité. Vendredi 12 mai deux hommes gays ont été attaqué au couteau aux cris de « C’est ta sentence », « Mort aux pédérastes ».
L’extrême droite et la blanchité
Nombreux·ses sont ceux/celles qui fantasment une ruralité blanche, catholique et traditionnelle (ou plutôt traditionaliste). La réalité c’est plutôt des territoires qui se dépeuplent et une population vieillissante. Plusieurs maires ont vu dans l’accueil des migrant·es/ demandeurs·euses d’asile une possibilité de redynamiser leur village, en plus d’un acte de solidarité et d’humanité. C’était le cas du maire de Callac qui soutenait le projet Horizon visant à un accueil de réfugié·es. Il a dû annuler le projet le 9 janvier dernier suite à des mois de mobilisation de l’extrême droite et des menaces envers les élu·es. On retrouve un schéma similaire à Saint-Brevin-les-Pins, où Yannick Morez, maire, avait défendu l’installation d’un centre d’accueil de demandeurs et demandeuses d’asile. Il a subi des mois d’insultes et de menaces, et durant la nuit du 21 au 22 mars ses véhicules ont été incendié ainsi qu’une partie de son habitation alors que sa famille et lui-même y dormaient. Il démissionne le 10 mai, n’hésitant pas à dénoncer l’inaction et le manque de soutien de l’État. Cette affaire est très médiatisée et grâce à cela il est finalement entendu au Sénat le 17 mai.


L’extrême droite et l’Église/église
Bilal Hassani avait prévu un concert le 5 avril dans le cadre de sa tournée à Metz, dans l’ancienne église de Saint-Pierre-aux-Nonnains. Désacralisée depuis 500 ans, et donc n’ayant plus aucun caractère sacré, elle est utilisée comme salle de concert. Malgré cela les groupes d’extrême droite Collectif Lorraine Catholique (CLC) et Civitas s’en prennent à l’artiste et publient des menaces contre lui et son public. L’ampleur est telle que le producteur renonce au concert pour assurer la sécurité de tou·tes. Le CLC avait utilisé des termes comme « profanation » et « pornographie » pour qualifier la venue de Bilal Hassani. Cet événement avait participé à normaliser les discours LGBTIphobes et notamment ceux sur la juste exclusion des personnes LGBTI de la religion et des lieux catholiques.
Dans le Morbihan était prévu le 13 mai un concert d’orgue dans l’église de Carnac. L’extrême droite là aussi était mécontente de la venue de l’artiste américaine Kali Malone. Leur mobilisation a amené la ville a annulé l’événement, pourtant soutenu par le ministère de la Culture et le centre des monuments nationaux entre autre. Une trentaine de militants Civitas ont bloqué l’entrée de l’église jugeant encore une fois l’événement « profanatoire », le maire Olivier Pepick a annulé de peur de la violence qu’ils semblaient prêts à employer.
L’extrême droite et les personnes LGBTI / les drag queens

Que l’extrême droite ait un sérieux problème avec notre existence et notre représentation on le savait déjà, mais leur mobilisation pour nous silencier et nous faire disparaître de l’espace public est de plus en plus forte. A peine fini cet article que mon collègue Abel Delattre m’envoie un thread qui explique que les forces de l’ordre (25, gilets par balle et blouses blanches) sont venus intimider le bar Bonjour Madame, établissement queer parisien. Cherchant à tout prix de quoi réprimer ils finissent par trouver une mention manquante et ferme le bar administrativement deux semaines.
Dans la nuit du lundi 15 au mardi 16 mai l’exposition proposée à Lyon dans le cadre du 17 mai (journée internationale contre l’homophobie et la transphobie) a été dégradé. 9 des 24 panneaux retraçant l’histoire des luttes LGBTI ont été arraché, ils devaient servir de support à une sensibilisation du public sur la diversité. Le 23 mai l’exposition est retirée après une seconde dégradation.
« C’est une violence symboliquement forte car nous sommes le seul lieu LGBTI de la ville. On ne s’attaque pas seulement à un lieu, on s’attaque à la communauté » Quentin Bouttet, coprésident du centre de Touraine

Le 4 mai, dans le cadre d’un atelier cinéma, des élèves de 6e devaient visionner le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma sur le genre. Mais certains parents de ce collège épiscopal de Walbourg s’y sont fermement opposé jusqu’à l’annulation de la diffusion. L’extrême droite bien informée avait communiqué sur cette programmation sur le site Riposte Catholique. Civitas avait déjà protesté contre la diffusion de ce film sur Arte en 2013, comme le rappelle l’article du Parisien. Le même film était programmé au cinéma de Saint-Armand-Montrond le 25 mai, le centre LGBTI Berry ayant organisé un ciné-débat. Mais c’est sans compter sur l’extrême droite, soucieuse d’annuler le maximum d’événements LGBTI : un groupuscule d’ED et Reconquête se mobilise pour l’annuler. Ils dénoncent des attaques contre la famille, contre les enfants, les commentaires sur leurs sites étalent leur violence, évoquant même de « passer par les armes ». Le centre LGBTI Berry va bientôt ouvrir un local, des dégradations seront sûrement de la partie.
15 mars, Nantes. Civitas se mobilise contre la programmation prévue du spectacle Fille ou garçon ? Par l’association La Bouche d’Air. 19 classes d’écoles nantaises sont censées y assister, avec la validation du ministère de l’éducation nationale. Je n’a pas trouvé d’information plus récente pour confirmer la représentation ou l’infirmer.
Dans le premier article j’avais déjà évoqué plusieurs affaires (Lamballe, Bordeaux, Toulouse), et malheureusement l’actualité n’arrête pas d’en présenter de nouvelles, dans un laps de temps plus rapproché :

4 février. L’artiste La Briochée voit son image récupérée par Reconquête pour un tract LGBTIphobe, elle portera plainte. Nous voyons qu’outre les groupuscules, Reconquête se saisit pleinement de cette thématique.
11 mars, Paris. Reconquête toujours, accompagné des intégristes de Civitas organisent une mobilisation contre une lecture drag dans le 13e arrondissement.
17 mars, Lille. Un média d’extrême-droite étudiant communique sur un show drag organisé par l’association queer étudiante Simone s’éveille à l’université catholique de Lille. Les commentaires appellent à saboter l’événement, à la bloquer : l’université met en place des vigiles pour sécuriser l’événement. Les artistes Le Claqueur de salopes et Barbara Rockwell tiennent la soirée et lance un Siamo tutti antifascisti en signe de protestation. Des militants d’extrême droite réussissent à s’infiltrer pour lancer des slogans au mégaphone et tendre des pancartes, ils seront sortis non sans heurts par la sécurité.

21/22 avril, Tours. Les locaux du centre LGBTI de Touraine a été une nouvelle fois la cible de dégradation, pour la 4e fois en deux mois. Les bénévoles sont aujourd’hui obligé·es de s’enfermer à l’intérieur pour leur sécurité.
13 mai, Saint-Senoux. Le groupuscule L’Oriflamme débarque devant une médiathèque accueillant une lecture drag avec des fumigènes, cagoules et banderole : « A nos enfants inculquez nos racines, n’imposez pas des drag queens ». Leur communiqué annonce la couleur : « Les drag-queens sont des militants qui, sous couvert de ‘prestations artistiques’ promeuvent un mode de vie basé sur leur sexualité dépravé ».
18 mai, Nantes. Le local de l’association LGBTI Nosig est recouvert de croix celtiques accompagnés du slogan « Stop aux folies LGBT ». Cela fait suite à 5 autres dégradations en 2022. La violence symbolique de l’acte est encore plus forte que ça a été découvert au lendemain du 17 mai, journée internationale contre l’homophobie et la transphobie.
22 mai, Tours. Le centre LGBTI de Touraine qui est attaqué avec une bouteille explosive. L’engin a été jeté en plein après-midi alors que deux salariés et un bénévole était à l’intérieur. C’est la sixième attaque contre le lieu depuis début 2023, avec une escalade dans la violence.



Dégradations, perturbations, menaces, violences, l’escalade des violences est importante et rapide. Les groupuscules d’extrême droite s’organisent pour se mobiliser et démocratiser leur discours en appelant à la démagogie de l’attaque contre la famille et la protections des enfants; toujours les mêmes thématiques depuis des décennies pour s’attaquer aux personnes LGBTI.
On a vu d’autres attaques contre des ateliers mis en place par des artistes drag queens, toutes n’ont pas la volonté de médiatiser leur affaire, essayant de ne pas donner de la visibilité aux militants d’extrême droite. Peu importe la stratégie adoptée, on sait maintenant que les attaques sont régulières, et il n’y a rien pour le moment pour les ralentir voire les annihiler. Comment faire ? Sur-sécuriser nos événements et nos lieux ? Devenir des flics de soirée et de réunion ? Traquer les gens pour essayer de deviner si ce sont de possibles fachos ? En appeler aux forces de l’ordre ?
On ne peut pas se terrer dans le secret, dans le silence, organiser nos événements en donnant les infos au dernier moment, retourner dans une clandestinité que les décennies de luttes nous ont permis de ne pas (ou peu) connaître. L’auto-organisation ou l’entraide avec d’autres associations ou groupes antifascistes peuvent apparaître comme un premier pas, surtout dans cette période pré-Pride. Ce mois de juin est à risque, j’appréhende les Prides, qu’elles se passent mal et/ou qu’on y soit moins nombreuses et nombreux que l’année passée, par peur de la violence. On a besoin d’être solidaires, de se serrer les coudes, mais aussi de repolitiser nos événements et nos Prides. Nous devons combattre l’homonationalisme et le libéralisme dans nos propres communautés, nous auto-organiser comme nous le pouvons, groupes politiques, groupes antifa, associations, groupes affinitaires, groupes d’artistes, etc. Nous devons trouver nos moyens de lutter efficacement et sur la durée. Nous devons communiquer entre nous, pour monter des actions communes, être en nombre à chaque événement des un-es ou des autres.
Nos existences sont attaquées directement, on ne peut plus ignorer l’extrême droite : on doit la combattre pour notre survie, celles de nos artistes, de nos événements et de nos lieux. A nous de nous former sur l’antifascisme, aux militant-es antifa de se former aux questions LGBTI, faisons union, faisons force.
NDLR : 10 ans après l’assassinat du militant syndicaliste et antifasciste Clément Méric par des militants d’extrême droite, un week-end antifasciste est organisé. L’événement approche à grand pas, nous avons un rôle à jouer dans ces luttes qui sont les nôtres, j’espère nous y voir nombreux et nombreuses, à travailler pour la convergence des luttes et contre le fascisme rampant.
Pour une pride antifasciste,
Pour une lutte queer antifasciste,
Pour nous.
